Chère Sarah,
Nos chemins auraient pu se croiser un jour de marché, à Belleville, à cette heure où la foule dense et cosmopolite se dresse comme une vague prête à vous engloutir. Dans la poussette, ma fille, bercée par la cacophonie polyglotte, dormirait, le visage ébloui par un soleil radieux. Nul n’aurait remarqué ce petit ange, sauf vous.
Les belles rencontres commencent toujours de façon banale, enfin c’est ce que l’on pense, mais dans le fond, être sensible à un regard inconnu, c’est déjà le signe d’une inclinaison de l’âme. Très vite, vous m’auriez demandé le prénom de ma fille, et j’aurais vu dans vos yeux clairs et pétillants une lumière, cette lumière vive qui habite le regard des mères, où, comme une évidence transcendante, l’enfant de l’autre vous apparaît comme le vôtre. Sakina-Sarah, c’est ainsi que se prénomme ma fille, comme vous vous prénommez Lucie-Sarah. Auriez-vous vu là le signe de la Providence, je ne sais. Néanmoins, cela aurait suffi à ce que nous nous racontions un peu plus nos vies, vous d’origine algérienne et moi d’origine marocaine, vous juive orthodoxe et moi musulmane soufie.