Vous êtes partie, Madame, à l’âge qu’avait ma propre mère. Vous habitiez le même quartier et je vous imagine, comme elle, arpentant les allées du marché de Belleville où, jadis, Juifs et musulmans partageaient le même coin de bitume et parlaient la même langue. Et lui, l’assassin? Peut-être lui aviez-vous déjà offert, à lui et à sa fratrie, ces quelques pâtisseries au miel que vous aviez coutume de confectionner les jours de fête. C’est ainsi que ma mère agissait avec nos voisins juifs, chrétiens ou musulmans.
Peut-être aussi venait-il prendre le thé chez vous, adoucissant votre pesant veuvage par sa présence. Peut-être vous a-t-il tenu la porte de l’ascenseur, adressé un bonjour en vous croisant dans le hall de l’immeuble. Car, témoigne son entourage, «il était serviable et gentil».
Vous étiez médecin et il aurait pu être votre patient. Hélas pour vous, il était votre voisin et il fut votre bourreau.
Mais ça, c’était avant. Avant que les liens ne se brisent, avant qu’il ne commence à vous insulter. Sans un mot, sans une plainte, vous avez fermé votre porte à double tour et réservé votre générosité aux autres.