Sarah Halimi Femme juive assassinée à Paris en 2017
photo Joël Mergui

Un ange égaré

Joël Mergui

Joël Mergui est le président du Consistoire israélite de Paris.

Quand je pense à Sarah Halimi, je me déprends aussitôt de toute considération institutionnelle pour me laisser submerger par un flot d’émotions et d’images, au-delà du raisonnement sur les origines de la violence antisémite, au-delà de la casuistique sur la responsabilité pénale de l’assassin. Je me laisse transporter jusque dans un appartement du XIe arrondissement de Paris, je vois une pénombre, j’entends des cris incompréhensibles sur un balcon, puis le fracas d’une intrusion dans une chambre à coucher, je distingue une bête féroce à forme humaine, hallucinée, éructant des borborygmes incantatoires qui en appellent à Dieu pour bénir son carnage.

Le visage de la bonté

Quand je pense à l’enfer, nul doute que sa version terrestre devait se lire dans le regard terrorisé de cet ange égaré dans un monde qui n’était pas le sien.

Quand je pense à la bonté, je me dis que si elle avait un visage, ce pourrait être celui de cette dame dont la photo, qui a envahi les médias au moment de « l’affaire », est irradiée d’un sourire iconique et pudique, et que tous les témoignages présentent comme un être pétri de l’amour d’autrui.Quand je pense à l’innocence, j’imagine ces femmes, hommes et enfants tirés du lit à l’aube de la rafle du Vel’ d’Hiv’. Aujourd’hui, on psychologise à tout-va sur la culpabilité des bourreaux. On cherche mille explications, qui ont souvent valeur d’excuses, pour les délinquants de notre société dite « ensauvagée », mais les victimes raflées les 16 et 17 juillet 1942 à Paris avaient, je le sais, le visage de pureté absolue de Sarah Halimi.

Un système judiciaire incapable de nommer le mal

Quand je pense à la justice, la plus haute marque de civilisation d’une société, je me dis en homme de foi que les atermoiements de notre système judiciaire, incapable de nommer le mal devant pareille monstruosité, sont bien la preuve, s’il en était encore besoin, de la transcendance du Juste et du Vrai absolus – « […] la justice apparaît depuis le ciel » (Psaumes 95:11) – , qui finiront par avoir le dernier mot dans l’accomplissement des promesses messianiques, seul espoir du triomphe du Bien au milieu des piresdésordres de ce monde.

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