Succomber au démon ou l’art de se forger un alibi

Jean-Pierre Winter

Jean-Pierre Winter est psychanalyste, président du Mouvement du coût freudien, issu de la dissolution de l’École freudienne de Paris. Il a publié chez Albin Michel en 2019 L’avenir du père.

Dans l’affaire Halimi, la décision de la cour d’appel, puis sa confirmation par la Cour de cassation font appréhender une dimension qu’il est difficile de nommer sans recourir à la thèse de Lacan dans son «Kant avec Sade». En fait, le titre nous met d’emblée sur la voie de ce qu’il énoncera à la fin de son article : «Notre verdict est confirmé sur la soumission de Sade à la Loi.» La Loi est ici l’interdit de l’inceste, donc l’interdit de réintégrer le corps de la mère. Mais avant d’en arriver à ce point, Lacan montre qu’un certain rapport aux lois, je parle des lois positives, à ladite morale donc kantienne, rejoint le fantasme sadien d’un droit catégorique à la jouissance. «Le désir refoulé, dira-t-il, et la Loi, c’est la même chose.»

Pourquoi, alors, commencer mon propos de cette manière? Parce que je voudrais que l’on retienne, pour être un peu plus clair, que si, par exemple pendant la guerre, quelqu’un dénonçait un Juif en se réclamant des lois scélérates de Pétain, il pouvait estimer, à peu de frais, qu’il obéissait à la loi, masquant ainsi son désir autrement inavouable de dénoncer un Juif. Comme d’autres supplétifs nazis pouvaient se déculpabiliser de leurs crimes sous prétexte qu’ils obéissaient aux ordres fondés sur la loi. Laquelle loi n’était rien d’autre que le désir du Führer, identifié à une certaine version de l’impératif catégorique de Kant, comme l’a montré Hannah Arendt à propos d’Eichmann. On a affaire là à ce que Dostoïevski appelle «la pensée servile».

Aucun homme, dit Hannah Arendt, n’a le droit d’obéir. J’ajoute : même et surtout s’il est juge.

[...] Suite de la contribution dans le livre L'invisible de la rue Vaucouleurs

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