Chère Sarah,
Je vous écris parce que l’un de nous deux ne peut plus parler. Avant qu’un acte barbare ne fonde sur vous pour vous ôter votre dernier souffle, vous n’aviez pas encore, pour moi, de visage. Je ne vous connaissais pas. Depuis avril 2017, ce n’est plus le cas, et aujourd’hui je peux aller vers vous par la parole écrite. Nous savons tous les deux que les vivants ne cessent de parler aux morts; que les morts ne cessent de hanter la vie des vivants. C’est Emmanuel Levinas qui, dans Totalité et Infini, disait que l’autre est d’abord un visage. Mais un visage qui excède, de loin, ce qui le constitue en propre : la forme de son nez, de sa bouche, de ses yeux, la couleur de sa peau, etc. Le visage est d’abord l’espace même de la vulnérabilité. Il est aussi le reflet de l’âme, et c’est au travers des yeux que l’on peut s’en faire (même approximativement) l’interprète. Je ne connaîtrai jamais le son de votre voix, votre manière de regarder les gens ordinaires.
Avec quels mots, quels gestes, avez-vous signifié l’injuste? Comment et pourquoi faisiez-vous don de votre personne aux autres, aux souffrants et aux malades? Je ne le saurai jamais.
Les vivants ne cessent de parler aux morts,
les morts ne cessent de hanter la vie des vivants.
Depuis que l’on vous a obligée, si soudainement et si sauvagement, à nous quitter pour toujours, je me suis souvent demandé, comme se le demandent souvent les enfants après la mort d’un proche : «Où est-elle allée, après?»