Je suis née à Paris en 1947. Mes parents, natifs de Metz, se sont connus dans le camp de Drancy, à l’automne 1942. Mon père, soldat français fait prisonnier à la débâcle, s’était s’évadé. Dénoncé comme juif à la milice, il a été déporté en mars 1943 et interné à Auschwitz, Varsovie et Dachau. Ma mère et sa sœur, arrêtées en tentant de passer la ligne de démarcation, Françaises de moins de 17 ans, ont pu être libérées de Drancy. Maman, entrée dans la Résistance en 1943, a perdu de nombreux camarades, et surtout son père, torturé et fusillé. Enfant nourrie par les récits compulsifs de mon père et par les rares confidences arrachées à ma mère, je faisais des cauchemars. J’étais convaincue que tout pouvait recommencer demain et que, en tant que Juive, je ne serais jamais considérée comme Française à part entière.
Des croyances antisémites ancrées en France
Ma première brûlure date de l’école primaire : en dépouillant devant nous les bulletins recueillis pour le Prix de camaraderie, la maîtresse s’exclama : « Oh ! Les Juives ont reçu chacune un point : elles ont voté l’une pour l’autre car les Juifs, ils se tiennent entre eux. »
Plus tard, en uniforme scout, lors d’une quête nationale, j’ai tendu mon tronc à une adorable vieille dame, tout de noir vêtue. Elle m’a demandé en souriant si j’appartenais à sa paroisse. « Non, ai-je répondu, je suis membre des EIF, les Éclaireurs israélites de France. » Elle a poussé un petit cri d’effroi, a remis sa pièce dans sa bourse, et elle a fui, comme si elle avait rencontré le diable.
Elle a fui, comme si elle avait rencontré le diable.
Je suis entrée à l’université de Nanterre l’année de sa construction. Dans la petite cafétéria, une condisciple me demanda pourquoi je mangeais à l’écart. J’expliquai que, juive, j’emportais un repas cacher fait maison. Plus tard, elle souhaita me présenter à une amie normande qui n’avait jamais vu de Juifs et à qui sa nourrice avait répété que les Juifs avaient des cornes, des pieds fourchus et une queue qu’ils cachaient dans leurs vêtements. En rencontrant cette étudiante j’ai insisté, malgré ses faibles dénégations, pour promener sa main sous les boucles de mes cheveux, et je me suis déchaussée. On était en 1964-1965, et ces croyances existaient encore dans ma douce France.