Si nous ne pouvons voir clair, au moins voyons-nous clairement les obscurités.
Sigmund Freud
Rose Parkiet et Joseph Wolf Wolkowicz, mes parents, ont fui leur Pologne natale dans les années 1930. Avec l’espoir comme bagage principal, ils se sont installés en France où, pensaient-ils, ni la misère ni les discriminations ne les atteindraient plus. Douce France ! C’est vers cette terre aussi qu’a émigré depuis l’Algérie la famille de Sarah Halimi, chargée sans doute d’une confiance semblable et d’aspirations forcément identiques : s’assimiler sans renoncer à sa foi, pas plus qu’à sa pratique, travailler dur, assumer ses responsabilités, peser enfin sur son destin et, avec gratitude, participer à celui du pays d’accueil. Impossible de le nier, les rêves s’y réalisaient comme par enchantement, aussi bien pour ma famille que pour la sienne. En dépit de sa condition modeste, la jeune Lucie Attal n’a-t-elle pas réussi à terminer en France des études prestigieuses, devenir médecin, faire le métier qu’elle avait choisi et, à son tour, donner la meilleure éducation à ses propres enfants ? À peine arrivé, mon père ne s’est-il pas précipité à la Sorbonne, tout en trimant dans un petit atelier de confection de chemisiers sur mesure ? Quant à ma mère, comment décrire sa fierté d’avoir obtenu un C.A.P. de couture ? Après la grande joie, vint la guerre.
« Et si ça revient ? »
Engagé dans les Corps-francs, mon père s’est battu avant d’être fait prisonnier et déporté à Majdanek. Six années de séparation forcée d’avec ma mère qui, à leurs retrouvailles miraculeuses, n’avait plus que ces mots à la bouche : « Et si ça revient ? » Encore et encore. Un leitmotiv occasionnellement alterné par le conjuratoire : « Plus jamais ça ! » Mais le ça refoulé est revenu par délégation aux « nouveaux Palestiniens » dans les années 1970. D’abord attendrie par ces rescapés de Juifs qui, à bout de forces, se sont inventés pionniers pour labourer une terre revêche, désertique sinon infectée de malaria, l’Europe s’est vite débarrassée de sa voilette de culpabilité. Après l’anéantissement quasi total de ses Juifs, elle a toléré Israël comme « parenthèse de l’histoire », refuge temporaire. Toutefois, il ne fut pas question d’un État juif autonome et pérenne. Auschwitz devint une abstraction, un symbole universel, dépouillé de sa singularité. La Shoahfut pensée en terme d’Holocauste, sacrifice du coupable essentiel et universel, marqué du péché originel.Rapidement, on trouva le sionisme plus proche d’une idéologie « colonialiste » et « raciste » que d’un élan émancipateur, fier et légitime. De nouveau, donc, il était possible de tuer les Juifs. Sans que cela émeuve grand monde, sans que les gens descendent massivement dans la rue, sans que les médias en fassent une cause, sans que des intellectuels s’en indignent, comme ils savent si bien faire. Dans le cortège qui, à l’appel du CRIF, traversait le quartier de Belleville en hommage à Sarah Halimi assassinée, n’a-t-on pas entendu d’affreux mort aux juifs ? Quelqu’un a-t-il été sommé de s’en expliquer ? Pas à notre connaissance. Il se pourrait que les responsables n’aient jamais été recherchés. Après tout, si les Juifs disparaissaient, avec eux disparaîtraient tous les problèmes de l’humanité.
Après l’anéantissement quasi total de ses Juifs, l’Europe a toléré Israël comme «parenthèse de l’histoire».
Le terme d’islamo-fascisme reflète une réalité sensible
Le paradoxe de l’antisémite ? Il lui faut concevoir l’hypothèse de la supériorité de celui qu’il désire éliminer, en se condamnant dès lors à une jouissance amère, pitoyable, et qui finit par renforcer son propre sentiment d’humiliation, d’envie et de haine. L’Europe ne cesse de jouir d’une culpabilité perverse, à la fois narcissique et suicidaire. Mais l’idiot ne voit que le doigt qui montre la Lune, jamais la Lune. L’antijudaïsme constituerait-il alors le point de rencontre des aspirants à l’illimité narcissique (Moins-Un) ence point aveugle d’envie et de diabolisation, la convergence parricide de filiations (haine et forclusion du Nom-du-Père) à l’égard de l’intolérable héritage « paternel », objet d’une fondamentale ambivalence ?
Il m’arrive d’avoir peur que mes parents ne reposent pas en paix, alors qu’ils l’auraient tellement mérité. Ils sont partis inquiets pour leurs enfants et leurs petits-enfants. À raison. Qu’il soit défendable ou pas d’un point de vue universitaire, le terme d’islamo-fascisme reflète une réalité sensible, une réalité qui nous est imposée par la force la plus brutale et aveugle, avec la complicité cynique de certains de nos députés, leaders politiques ou éditorialistes. Tout comme on se démène pour mettre en pratique le projet de détruire Israël, ce que les mollahs iraniens proclament y compris depuis la tribune de l’ONU. Mes parents n’avaient pas les moyens de se défendre, de résister, pas même de repartir « ailleurs », pour faire l’ellipse sur leur souhait de voir émerger un État juif indépendant. Nous, nous les avons !
Pourquoi Sarah ? Pourquoi Israël ?
Sur les valises des Juifs déportés dans des camps d’extermination, les nazis écrivaient « Sarah » pour les femmes et « Israël » pour les hommes, avec une volonté abjecte de désubjectivation. En dix années, étendues entre l’assassinat d’Ilan et celui de Sarah, nos islamistes domestiques ont fait d’Halimi le nom de personne, guidés par la compulsion de répétition du crime antisémite et soutenus par le déni de l’antisémitisme islamiste. On est saisi d’une sensation effrayante de déjà-vu. Transformer systématiquement ces meurtres ritualisés en actes d’« états limites » donc a-sensés, les coupant ainsi d’une généalogie de pensée, revient à en faire des non-événements. Alors qu’il s’agit là, et très clairement, de mises en acte d’un discours introjecté dont le sujet est lui-même l’objet, comme le remarque Jean-Pierre Winter. Déclarer ces assassins fanatisés irresponsables revient à prendre part à leur entreprise de faire du nom Halimi un simulacre de nom et une parodie d’appartenance, une caricature islamo-nazie de l’homonymie juive, un mot exterminateur du langage et de sa mémoire, de la distinction singularisante, historicisante et subjectivante du nom juif.
Dans son film Shoah,Claude Lanzmann montre comment l’opération nazie sur les noms propres – les Sarahet Israëltournés en un nom générique indifférencié – s’avère une interversion de l’œuvre juive, puisque le processus sacrificiel, dont nous sommes les témoins, passe par l’effacement de la subjectivité. La négation de l’acte antisémite inclut la négation du Juif dans sa factualité, sa légitimité existentielle, singulière et collective, en parallèle de son omniprésence fantasmatique, obsessionnelle : le para-sémitisme.
La transmission de la haine comme haine de la transmission
Le négationnisme et le révisionnisme sont ainsi consubstantiels au projet génocidaire, à l’extermination, à la fois en tant que fondement et conséquence du crime – négation d’une histoire, d’une antériorité, d’une transmission, investie comme transmission clonique et clanique, la transmission de la haine comme haine de la transmission (a contrario d’une transmission comme processus, transmission de la transmission) – et d’une identité toujours en devenir. On arrive alors au délire de filiation et d’auto-engendrement, une mise en œuvre des fantasmes de pureté et d’intégrité totalisantes, de reproduction du même, de projection d’une haine identitaire, d’une identité mortifiée. Tandis que l’altérité et la pluralité d’être sont, au contraire, une condition nécessaire pour qu’un individu et un peuple continuent à s’inventer, à créer, à transformer, à vivre, selon les transferts de transferts qui ouvrent aux champs de l’inconnu, de la métaphore et de l’indéfini de la pensée, à l’assomption de la dette civilisationnelle, à la gratitude, à la nomination de la réalité et à la reconnaissance de la dimension du fantasme, à un infini plutôt qu’à un absolu.
Pour les nazis et les islamistes, il n’y avait pas et il n’y a pas de pourquoi à la Solution finale ou aux massacres de masse, le déshumain étant constitutif de la disparition du semblable différent : desrestes, des rebuts, des shmates…
Une affaire française
L’omerta sur le meurtre barbare de Sarah Halimi, puis sa commode réduction en un simple fait divers, le déni des politiciens, rétifs à évoquer un crime antisémite en pleine période électorale, la passivité incompréhensible de la police, pourtant sur place au moment du crime, l’entêtement indécent de la justice à empêcher un procès public en déresponsabilisant non seulement l’assassin, mais aussi son milieu familial et idéologico-religieux pour, in fine, reconnaître ses motivations antisémites, font de l’impropre dénomination « affaire Sarah Halimi », une affaire française.
Sarah Halimi fut une Juive, un médecin, une mère et une grand-mère, donc naturellement impliquée dans la filiation et la transmission, l’ensemble ayant peut-être libéré une imago clivée chez l’assassin, à la fois d’un idéal maternel et d’une créature diabolique, le sheitan dont la toute-puissance qu’il projetait sur elle était objet d’ambivalence archaïque, responsable de ses manques, échecs et humiliations. Elle l’aurait empêché d’aiguillonner son propre destin, voire d’exister ! Hannah Arendt a bien vu que la démonisation sert à s’assurer un alibi : en succombant à un démon, on est libéré de toute culpabilité. En somme, il s’agit d’une pathologie grave de narcissisme, assortie d’une stupidité crasse.
À quoi aurait servi un procès public de l’assassin ? S’il y en a encore qui posent cette question, nous leur répondons avec calme et patience : dégager le contexte et la généalogie du crime aurait rendu à Sarah Halimi un visage, un nom, une histoire, donc la dignité humaine qui lui a été refusée par le silence médiatique, progressivement mué en langue de bois. On a fait de Sarah Halimi « une défenestrée de la rue Vaucouleurs ».
Penser l’acte antisémite implique des enjeux anthropologique, civilisationnel, psychopathologique, idéologique et politique. Il s’agit d’examiner la chronique annoncée de la faillite de la pensée, comme celle des institutions,faisant partie, sinon étant le fondement, d’une crise profonde des représentations, de l’identité et de la transmission. N’oublions pas que ces mêmes institutions sont censées protéger des marqueurs du Symbolique, constitutifs d’une vie en société, enfin ce qu’il en est de l’état de culture d’une société et de la psyché collective, pour nous permettre d’interroger l’extermination de Sarah Halimi, mais aussi la négation concomitante du crime antisémite et de l’existant juif. Avec justesse, Frédéric Encel a pointé le renversement pernicieux et trompeur des valeurs qui met l’antiracisme au service de l’obscurantisme et de la discrimination des femmes, transformant en outre l’ONU en un instrument de régression internationale. En Europe, on compte les minutes de silence, on se dépense en paroles « de paix et d’amour », on allume des bougies et, surtout, on se garde de lier le terrorisme meurtrier qui sévit en Israël avec celui qui opère sous nos yeux.
Qu’en est-il aujourd’hui de l’éthique de vérité et de l’exigence d’intellectualité supérieure, de responsabilité individuelle et collective, de pensée et d’action, d’une liberté réfléchie et de la construction du Sujet, de ce qui fait peuple et de son fonds commun ?
En Europe, on allume des bougies et, surtout, on se garde de lier le terrorisme meurtrier qui sévit en Israël avec celui qui opère sous nos yeux.
Halimi, le nom de personne
L’assassinat de Sarah Halimi a engendré un traumatisme profond dans la communauté juive par son horreur, mais aussi par le fait que le meurtrier a été nourri d’une haine à la fois antijuive, antirépublicaine, anti-française et anti-occidentale. Le déni sociétal de le reconnaître, comme jadis on refusait de reconnaître l’ampleur et la singularité de la Shoah, est l’équivalent d’une extermination sur le plan symbolique. Toutefois, le silence d’État sur l’antisémitisme des « quartiers » n’aurait pas été possible sans le concours des idiots utiles qui manient avec une extrême habileté les éléments du langage de la bien-pensance. Pourtant, le cas de Traoré relève d’un délire qui n’a rien à envier aux folies meurtrières des exterminateurs bien connus. À ceci près que, à la différence d’Eichmann qui évoquait Kant pour sa défense, il cite le Coran.
Pour la communauté juive, traumatisée et anxieuse quant à son avenir, nous avons organisé, il y a quatre ans, un colloque au centre Rachi, intitulé : « Anatomie d’un meurtre, psychopathologie d’un silence : Halimi, le nom de personne ». Depuis lors, d’autres vies juives ont été brutalement achevées en France, au cri de Allah akbar ! Dans le contexte de la multiplication des actes antisémites, concomitants avec un discours décomplexé de haine antijuive d’une part, et, de l’autre, avec une diabolisation de l’État juif, il nous a paru nécessaire de poursuivre la réflexion sur ce que nous avons nommé « une affaire française ». Ainsi ont vu le jour deux publications collectives dont le courage, la lucidité et la pertinence ont été applaudis bien au-delà de la communauté juive : Le Nouvel Antisémitisme en France et L’Affaire Sarah Halimi ou l’Éradication du Sujet. Ces ouvrages sont à titre égal une forme d’hommage au docteur Sarah Halimi, témoignant de la résonance personnelle de son meurtre en chacun d’entre nous. Enfin, une initiative unique en son genre a pris forme dans le domaine de recherches et d’échanges transdisciplinaires, via des colloques, des publications et diverses activités scientifiques, pour participer à ce que Freud appelait Kulturarbeit, c’est-à-dire une instance de lucidité psychique, certes consciente de ses propres limites et illusions, mais déterminée à construire une clinique du contemporain : Schibboleth – Actualité de Freud. Un forum mis en place par Schibbolethau moment de l’enterrement de l’affaire, en juin 2022, a repris la chronique annoncée il y a cinq ans d’un scandale d’État, peut-être symptomatique d’une rupture anthropologique et civilisationnelle, avec l’auto-discrédit de la justice et des fonctions républicaines, l’anéantissement des marqueurs symboliques garants en droit et en éthique d’une vie en société, et la défection du politique.
À quel moment de l’évolution de notre culture, de notre psyché collective, en sommes-nous, en France, pour être ici Charlie, mais plus du tout Charlie quand des femmes, des enfants et des enseignants juifs sont massacrés, précisément parce que juifs ?
À quel moment de l’évolution de notre psyché collective en sommes-nous, en France, pour être ici Charlie, mais plus du tout Charlie quand des Juifs sont massacrés parce que juifs?
Cancel culture et idéologie woke, un « pacte avec la barbarie »
Les instances juridiques ont choisi de mettre la responsabilité de l’assassinat de Sarah Halimi sur le compte du cannabis et des méandres de la loi, tombée entre les mains des experts. Ceci dans le contexte de cancel culture déconstructiviste qui participe, de concert avec l’idéologie woke, à ce que Freud désignait comme un « pacte avec la barbarie ».
Les nazis, qui ont placé au centre de leur projet politico-existentiel l’entreprise de la destruction industrielle du peuple juif, auraient-ils été tous des malades psychiatriques sous le coup de bouffées délirantes aiguës qui les auraient rendus irresponsables, à l’exemple de Göring, grand consommateur de cocaïne et de Schnaps ? En quoi la pathologisation du crime ou la banalité du mal, conçue et théorisée par Hannah Arendt, participent-elles d’un questionnement sur la responsabilité individuelle et collective, de pensée aussi bien que d’action ? En quoi les actes d’un peuple, d’un groupe, seraient-ils, au sceau du relativisme et de l’idéologie du multiculturalisme, amendables de par leurs traditions, leur culture ? Convertir de force, esclavagiser, décapiter, lapider, égorger…
Enfin, qu’est-ce qui, dans l’histoire de l’Occident, a nourri de manière répétitive le déni de réalité et la déconstructivité, la complaisance, voire la complicité et la soumission ?
Avec certitude, des pathologies idéologiques n’auraient pas pu prospérer sans un support médiatique. L’intoxication de masse, par le biais des médias, consiste en un dévoiement sémantique, en la construction de nouvelles mythologies, en inversion en miroir et échange des rôles. Le discours idéologique, totalitaire (V. Klemperer, G. A. Goldschmidt) tend à déposséder le langage lui-même de sa propre mémoire (les religions séculières, selon Raymond Aron), l’idéologisation narcissique annihilant le site du langage.
Pour la doxa, un seul fléau menacerait la France : l’islamophobie. Voilà un de ces termes toxiques qui brouillent et dénaturent l’ensemble du vocabulaire pour devenir le nouvel instrument de propagation du fondamentalisme qui s’avance masqué, drapé dans les atours de la victime, avec une double ambition : l’emprise des islamistes sur l’ensemble des musulmans, et la terreur physique, intellectuelle, judiciaire.
«Islamophobie», ce terme toxique, nouvel instrument de propagation du fondamentalisme.
Si les passages à l’acte islamistes existent et se multiplient même ces dernières années, c’est aussi à cause d’un discours précis qui s’infiltre dans certains cerveaux fragiles pour les affirmer dans la haine, dans l’envie de tuer qui ne serait pas totalement illégitime, voire qui pourrait parer un exterminateur d’une aura héroïque, en faire un homme bien, un serviteur de Dieu, un sublime martyr.
Ce livre-hommage dédié à Sarah Halimi l’est paradigmatiquement à toutes les victimes de l’islamisme car « l’affaire Halimi » est paradigmatique d’un contexte idéologique, culturel, institutionnel, psychopathologique, politique… L’effacement d’un « événement », l’éradication du Sujet, l’anéantissement du Symbolique constituent un symptôme majeur, une abyssale désymbolisation !Il matérialise ce que Pascal Bruckner nomme « la rencontre entre les prêcheurs de haine et les prêcheurs de honte », a contrario d’un « travail de culture » (le Kulturarbeit freudien) assumant une éthique de vérité et de responsabilité dans le nouage à la Loi et le rapport à un surmoi collectif.
L’événement de l’extermination n’est pas clos
L’événement de l’extermination n’est pas clos. Il dure encore et toujours, ici et maintenant. L’antisémitisme européen se poursuit sous le signe de la compulsion de répétition : une manipulation symbolique construit l’innocence en miroir de la déshumanité prétendue d’Israël. Aux yeux de Jankélévitch, l’antisionisme est cette « trouvaille miraculeuse, l’aubaine providentielle » qui autorise des groupes hétérogènes à haïr les Juifs avec bonne conscience. Partout, aussitôt que le Juif s’arrache à son statut de victime expiatoire assignée aux frontières d’Auschwitz, il est diabolisé. Em France aussi, jusqu’ici, les Juifs étaient célébrés comme symboles sacrés de la République, uniquement dans le rôle victimaire. Mais ce n’est même plus le cas ! Que faire, alors, de ce formidable « Toucher à un Juif, c’est toucher à la République » ?
Aussitôt que le Juif s’arrache à son statut de victime expiatoire assignée aux frontières d’Auschwitz, il est diabolisé.
Si le sionisme et Israël suscitent une telle détestation, c’est parce qu’ils renvoient à un refus du sacrificialisme, au rejet de la condition victimaire, et qu’ils incarnent, au contraire, un mouvement d’émancipation, d’autodétermination, de souveraineté qui a relevé le gant de l’historico-politique à un moment où le peuple juif était voué à la disparition. Voilà l’intolérable ! Un peuple capable de s’inventer et de se réinventer. Un peuple qui se construit en transférant sur la transmission, la transmission de la transmission. Sarah Halimi fut de ce peuple, et citoyenne exemplaire de la République française.
Le peuple élu ? Léon Pinsker écrivait en 1882 : « Les Juifs sont le peuple élu par la haine universelle. »
L’Europe, la France, plaignent et honorent les Juifs exterminés, mais abandonnent les citoyens juifs ordinaires. « La repentance, note Pascal Bruckner, donne des gens qui s’excusent des crimes passés pour se défausser des crimes présents. »
Un dernier mot sur la psychiatrie : la folie la plus conne et la plus désespérante que nous connaissons, aussi la folie la plus ancienne et la plus irréfutable, c’est la haine des Juifs.
- Michel Gad Wolkowicz (dir), La transmission en question(s), éd. In Press, coll. « Schibboleth – Actualité de Freud », 2020.
- Wolkowicz M. G. (dir.), Bruckner P., Val Ph., Ferry L., Sansal B., Bensoussan G., Winter J.-P., Sibony D., Marty É., Lefebvre B., de Fontenay É., Tarnero J. et al., Le Nouvel Antisémitisme en France, éd. Albin Michel, 2018.
- Wolkowicz M. G. (dir.), Sansal B., Bensoussan G., Dayan D., Suissa S., Chouraqui É., Winter J.-P., Sibony D., Goldnadel G.-W., Tarnero J., Prasquier R., Cattan S., Moreau Th., Amar J., Halioua N., Mamou Y., Vacquin M., Birman C., L’Affaire Sarah Halimi ou l’Éradication du Sujet, David Reinharc Éditions, coll. « Makom », 2022.