À l’occasion de ma plaidoirie au procès des attentats de janvier 2015 devant la cour d’assises spécialement composée, j’avais porté la voix de plusieurs parties civiles en rappelant notamment une phrase d’un des célèbres Propos du philosophe Alain, qui nous apprend que « dans l’esprit des survivants, les morts ne cessent jamais de mourir ».
Près de six ans après cette funeste nuit du 4 avril 2017, rue Vaucouleurs dans le XIe arrondissement de Paris, au cours de laquelle le docteur Sarah Halimi a été rouée de coups durant de trop longues minutes avant d’être défenestrée de son appartement HLM par un meurtrier forcené et sans pitié, nous ne pouvons ainsi que repenser avec émotion au calvaire et aux souffrances dont elle a été victime.
Par-delà sa mort et au même titre que les victimes de l’attentat de l’école Ozar Hatorah de Toulouse en 2012 ou celles de l’attentat de l’Hypercacher en 2015, le nom de Sarah Halimi est devenu l’un des symboles de l’antisémitisme qui a mortellement frappé notre pays et de cet islamisme radical qui s’en est pris sauvagement à des enfants et des adultes, pour le simple fait qu’ils étaient juifs.
Dans l’esprit des survivants, les morts ne cessent jamais de mourir.
Alain
Une douloureuse issue judiciaire
Mais plus encore ici, le meurtre atroce de Sarah Halimi revêt une dimension supplémentaire en ce que l’on a désormais pris l’habitude de parler de « l’affaire Sarah Halimi » en raison du fait que son meurtrier a été jugé pénalement irresponsable de ses actes et que sa famille s’est donc trouvée privée d’un procès devant la cour d’assises, à la suite d’un processus judiciaire marqué par un certain nombre d’errements et de lacunes.
En ma qualité d’avocat, et donc d’auxiliaire de justice, il ne m’appartient guère de me livrer ici à une critique des décisions judiciaires qui ont mené à l’arrêt de la Cour de cassation du 14 avril 2021, confirmant l’irresponsabilité pénale du meurtrier de Sarah Halimi, mais je me dois de rappeler la légitime indignation d’une partie importante de l’opinion publique, qui n’a pu se résoudre à cette douloureuse issue judiciaire.
Habitué tout autant aux arcanes du monde judiciaire qu’aux arguties juridiques, j’en tire le constat que les juges ont appliqué les règles de notre droit positif sans rendre finalement justice dans ce dossier criminel hors normes, qui aura vu un meurtrier fanatisé tuer en pleine nuit et dans des conditions de souffrance insoutenables une femme médecin retraitée dans son appartement, l’ayant longuement torturée au cri de Allahakbar ! avant de la défenestrer en hurlant : J’ai tué le sheitan ! (le diable, en arabe).
Estimant que la consommation de cannabis chronique du meurtrier avait engendré une « bouffée délirante aiguë », les magistrats ont ainsi estimé qu’il ne devait pas être renvoyé devant la juridiction criminelle, eu égard au fait que l’article 122-1 du Code pénal ne distingue pas selon l’origine du trouble mental qui a fait perdre à l’auteur la conscience de ses actes.
Mais force était de constater qu’il y avait un vide juridique en la matière, puisque l’irresponsabilité pénale ne devrait pas pouvoir profiter à un criminel ayant commis volontairement une faute à l’origine directe de son acte, ce qui a pourtant été confirmé par la cour.
Il convient donc de mentionner ici le travail mené depuis par la Chancellerie, ayant abouti à une évolution législative avec la loi du 24 janvier 2022, qui limite désormais les cas d’irresponsabilité pénale en cas de trouble mental résultant de la consommation de substances psychoactives.
Cette affaire nous aura aussi démontré que notre système judiciaire a du mal à traiter comme il se doit certaines affaires criminelles liées à l’antisémitisme, comme cela était déjà le cas en 2006, lorsque la justice avait tardé à reconnaître le caractère antisémite de l’assassinat de Ilan Halimi, et comme ce fut encore le cas en 2017 pour le meurtre de Sarah Halimi, dont le caractère antisémite ne fut reconnu qu’au bout de nombreux mois d’attente et de procédure.
Par ce travail mémoriel, rendre justice
Même si l’on ne pourra sans doute jamais réparer le sentiment d’injustice qui a découlé du décès de Sarah Halimi, il convient de lui rendre hommage et c’est par cet important travail mémoriel – qui la restitue dans son être et son parcours de vie, à la fois comme médecin, directrice de crèche et mère de famille dévouée – que nous pouvons lui rendre dignement justice.
Il est en effet toujours essentiel de rappeler la primauté de la vie face aux ténèbres et de porter une espérance, comme l’ont fait les nombreuses personnalités qui ont témoigné dans cet ouvrage, lequel retrace bien évidemment des moments douloureux liés à la mort de Sarah Halimi, mais célèbre aussi et avant tout la belle personne qu’elle était.
Je tiens en outre à saluer l’engagement précieux des initiateurs de ce projet, initialement pensé par mes amis Guy Bensoussan, président du Consistoire de Lille, et Haïm Korsia, grand rabbin de France, sans oublier le rôle essentiel joué par l’éditeur David Reinharc.
Le Consistoire de France continuera à porter les valeurs de la République, fidèle à sa devise Religion et Patrie.
Le Consistoire de France, qui unit et fédère l’ensemble des communautés juives consistoriales dans notre pays depuis plus de deux siècles, continuera à porter les valeurs de la République, fidèle à sa devise Religion et Patrie, tout en rappelant que la lutte contre l’antisémitisme n’est pas que le combat des Juifs français, qu’il doit être celui de tous les citoyens épris de liberté, d’égalité et de fraternité.
C’est comme cela que nous parviendrons à continuer d’espérer pour le devenir de nos enfants, et que nos messages de vie parviendront à l’emporter sur les porteurs de haine et d’obscurantisme.
Que le souvenir du docteur Lucie-Sarah Attal-Halimi puisse nous accompagner et être source de bénédictions pour les membres de sa famille, ainsi que pour nous tous.