Crime de folie ou folie du crime

Maurice Ifergan

Maurice Ifergan est journaliste et directeur de la radio Kol Israël.

Un petit conseil aux tueurs. Allez prier, faites vos ablutions et fumez une quinzaine de joints. Vous voilà fin prêts pour aller massacrer votre voisine. Sarah Halimi, une vieille dame juive que vous connaissez depuis une dizaine d’années. Fracassez-lui le crâne avec un téléphone avant de la défenestrer. Et n’oubliez pas de hurler Allah akbar ! Voilà, vous avez tué « Satan ». Mais Kobili Traoré, n’ayez aucune crainte, vous ne risquez pas grand-chose.

Kobili Traoré, n’ayez aucune crainte, vous ne risquez pas grand-chose.


Les juges trouveront toujours un expert pour conclure que la prise massive et volontaire de drogue a provoqué une bouffée délirante. Vous serez alors déclaré pénalement irresponsable et irez vous reposer sous surveillance psychiatrique. Plus tard, vous retrouverez la liberté et retournerez dans le quartier rendre visite à vos amis et proches. Car dans votre cas, la justice s’arrête par un non-lieu. Surtout pas de procès, surtout pas d’explications. Visiblement, la folie dérange.


Faut-il donc être fou pour tuer sur ordre d’Allah !


Dix ans plus tôt, Adel Amastaibou avait déjà compris le truc. Faire passer un crime de haine pour un acte de folie. Il poignarde Sébastien Selam, son voisin de palier et ami d’enfance. Défiguré à coups de couteau et de fourchette, le célèbre DJ est retrouvé mort dans le parking de l’immeuble où Adel l’avait entraîné. Interpellé et contrôlé positif au cannabis, il affirme aux enquêteurs : « J’ai tué un Juif, j’irai au paradis, c’est ce que Allah voulait. »

« J’ai tué un Juif, j’irai au paradis, c’est ce que Allah voulait. »


La pauvreté de l’argument trouble la justice. Faut-il donc être fou pour tuer sur ordre d’Allah ! Une demande d’expertise psychiatrique est déposée. Dans son rapport, l’expert note que « ce n’est pas un acte antisémite, mais un acte délirant » avant de préciser que « le délire est alimenté d’une thématique antisémite ambiante ». Conclusion : l’acte n’est pas antisémite, mais le délire, oui. Au moment des faits, Amastaibou était donc pénalement irresponsable. Direction l’hôpital psychiatrique, mais avec tout de même autorisation de sortie.


Sans bouffée délirante, pas d’abolition ou d’altération du discernement


Évoquons aussi d’autres assassins antisémites. Ceux qui n’ont pas saisi que la folie pouvait les aider à échapper à la justice. C’est notamment le cas de Yacine Mihoub, qui aurait mieux fait de fumer du cannabis. Mais voilà, au lieu de cela, il a accepté les verres de Porto que lui avait servis Mireille Knoll, sa voisine. Dans son cas, donc, pas de bouffée délirante. Tout juste l’ivresse de l’alcool. Ainsi, pas d’altération ou d’abolition du discernement. Pour les experts et les juges, il possédait toutes ses capacités au moment des faits. Il a été condamné à la réclusion à perpétuité pour avoir poignardé, égorgé cette rescapée de la Shoah coincée sur son lit médicalisé et tenté de brûler son corps en hurlant Allah akbar ! Une condamnation qui sera donc aggravée au motif d’antisémitisme. La cour a estimé que le caractère crapuleux avait été alimenté par la haine en raison de l’appartenance de la victime à la religion juive et par la croyance que des richesses étaient dissimulées dans le logement de la victime. Cupide, certes. Antisémite, pourquoi pas ?

Cupide, certes. Antisémite, pourquoi pas ?

L’erreur de Yacine Mihoub : il n’avait pas pensé à la folie !
Youssouf Fofana a commis la même erreur. Sans bouffée délirante, pas d’abolition ou d’altération du discernement. Il a donc été condamné à perpétuité pour la séquestration, la torture et l’assassinat d’Ilan Halimi. Ce qui intéresse alors ce sauvage, ce n’est ni la drogue ni la religion. Non, pour cette petite frappe de banlieue, la seule substance qui l’enivre, qui lui fait perdre tout discernement, c’est le fric. Et le chef du gang des Barbares était fermement convaincu que les Juifs en avaient. Tuer pour de l’argent : quoi de plus simple et rassurant pour la justice ? Un délit de base, pas compliqué, même si dans le cas de Fofana, on peut y sentir de très forts relents antisémites. Youssouf Fofana a donc été jugé et condamné. Ce n’est que par la suite, en prison, que Fofana s’est radicalisé.

Ce qui intéresse alors ce sauvage, ce n’est ni la drogue ni la religion.


On peut se demander pourquoi ces quatre tueurs antisémites ne sont pas égaux devant la justice. Pourquoi Kobili Traoré et Adel Amastaibou ont été internés sans procès. Parce que le cannabis a aboli ou altéré leur discernement. Parce que la justice reste bloquée sur le sacro-saint principe selon lequel on ne juge pas un fou. Pourquoi Yacine Mihoub et Youssouf Fofana, eux, ont-ils été jugés, condamnés et emprisonnés ? Parce qu’ils ont commis leurs crimes sous l’emprise de la jalousie ou de la cupidité. Pour les uns, l’alcool ou le cannabis ; pour les autres, l’argent ou la jalousie. Les deux premiers étaient-ils totalement fous ou en partie cinglés ? Les deux derniers étaient-ils vraiment lucides et disposaient-ils vraiment de toute leur raison ?


La folie n’est pas déraison, la lucidité n’exonère pas de la folie


Il faudra donc bien finir par l’admettre, Sarah Halimi et Sébastien Selam ne sont pas tombés sous les coups de personnes ayant perdu, partiellement ou totalement, leur capacité de discernement. Ils n’ont pas été massacrés par des paranoïaques incapables de mesurer les conséquences de leurs actes. Pourtant, Kobili Traoré semble bien avoir compris la portée de son acte puisqu’il a tout de même tenté de camoufler le crime. Depuis le balcon, sa victime étant inconsciente, il aperçoit des policiers dans la cour et leur crie que Sarah Halimi tente de se suicider. Quant à Adel Amastaibou, le procès-verbal de la police relève que le suspect est manifestement sensé et volontaire, et qu’il se dit pleinement satisfait de son acte. Aucun expert ne le nie, la pulsion criminelle n’est pas dénuée de mobile et préméditation. La folie n’est pas déraison !

Depuis le balcon, sa victime étant inconsciente, il aperçoit des policiers dans la cour et leur crie que Sarah Halimi tente de se suicider.


Mireille Knoll et Ilan Halimi n’ont pas été victimes de petites crapules avides de violence et de sang. Ils n’ont pas été torturés et cramés vifs uniquement par cupidité. Il ne s’agit pas, semble-t-il, de simples meurtres d’intérêt. Dans le cas de Ilan Halimi, les ravisseurs n’avaient visiblement aucune idée du niveau de leurs exigences. Le montant de la rançon exigée a varié de cinq mille à cinq cent mille euros. Quant aux souffrances infligées à Mireille Knoll, elles paraissent tellement démesurées en comparaison du butin dérobé : « une comtoise, différents petits bibelots, un cadre photo, un carnet de chèques ». On ne peut pas dire non plus que leurs tortionnaires avaient les idées claires et étaient uniquement guidés par la raison. La lucidité n’exonère pas de la folie.


Le démon de la haine


Les bourreaux de Sarah Halimi, Sébastien Selam, Mireille Knoll et Ilan Halimi racontent qu’ils se sentaient perdus, possédés par un démon. Le démon de la haine. Ce démon impitoyable qui pousse celui qui en est saisi à une solution radicale : supprimer l’objet de sa haine.

Ce démon impitoyable pousse celui qui en est saisi à une solution radicale : supprimer l’objet de sa haine.


C’est le point commun de ces crimes, des crimes de haine. Ils ont été perpétrés contre une personne en raison de son appartenance à un groupe spécifique (religieux, racial ou en raison de son orientation sexuelle). Des crimes de haine menés par des fanatiques porteurs d’une folie furieuse, féroce et violente. Des fanatiques dotés d’un profond désir de détruire, d’une exaltation meurtrière, d’une extrême cruauté qui révèle une indifférence totale à la souffrance de leurs victimes. Peut-être parce que cette cruauté n’est pas dirigée contre une personne, qui n’existe pas, mais contre ce qu’elle est censée représenter. En cela, il n’y a aucune différence entre ces quatre bourreaux. La folie du crime se confond avec la folie de son auteur. Alors dans ces conditions, pourquoi séparer le crime du criminel ?

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