Limoges, 1942. La petite fille que j’étais avait huit ans et n’avait pas
Léa Marcou, née Sandler
de la vie une idée très rose. Elle aimait lire et achetait, dans une
librairie voisine, un journal pour enfants qui s’intitulait Les Belles
Aventures. Elle dévorait celle des « trois mousquetaires»,
les palpitantes aventures de ces cadets de Gascogne. Mais nous…
Et c’est là, dans la rue, ce magazine à la main, et en pensant,
sans doute, à des nouvelles – peut-être d’arrestations, avec ce mot
étrange, «rafles» – qu’elle venait d’entendre à la maison,
qu’elle se dit : «Tout ça n’arriverait pas si on avait un pays à nous.»
Née à Mannheim dans le Bade-Wurtemberg, ma sœur Léa, avec nos parents, avait fui en 1937 l’Allemagne nazie pour la France, d’abord au Havre, puis à Limoges en zone libre. En cette année 1942, où elle rêvait d’«un pays à nous», elle ne savait pas encore que, quelque temps plus tard, en mars 1943, la police du Havre, sur ordre des nazis, arrêterait notre grand-mère Pauline, notre oncle André, notre tante Mina, et notre cousin Jeannot sur les bancs de sa classe. Ils furent
déportés et assassinés.
Elle ne pouvait pas savoir non plus que, soixante-dix ans plus tard, à Toulouse, devant l’école Ozar Hatorah, son neveu Jonathan et ses deuxfils seraient assassinés par un islamiste qui voulait « venger la mort des enfants palestiniens ». Elle ne savait pas qu’un autre islamiste, aprèsavoir assassiné la policière Clarissa Jean-Philippe à Montrouge, avait l’intention de s’en prendre à une école juive, celle où les enfants de notre fille Jennifer étaient scolarisés.
En juillet 2022, des députés français de la Nupes s’associent en écho subliminal à ceux qui ont assassiné les miens.
La même haine antisémite, nazie ou islamiste, a décimé notre famille.Tout cela ne serait pas arrivé si on avait « un pays à nous ». Depuis 1948, nous avons « notre pays à nous » et, au premier jour de sa retraite en 1991, ma sœur s’installa à Jérusalem. Mon fils Jonathan la rejoignit, jeune étudiant. Il y rencontra sa future épouse, Eva. Après une dizaine d’années d’études en théologie à Jérusalem, Jonathan a souhaité rendre, à Ozar Hatorah et à Toulouse, ce que ceux-ci lui avaient donné jeune lycéen.
En cet été 2022, plusieurs députés de la Nupes ont signé une proposition de résolution visant à faire condamner l’État hébreu par la France pour « apartheid ». Ainsi, en ce mois de juillet 2022, des députés français s’associent en écho subliminal à ceux qui ont assassiné les miens. Comment ne pas se souvenir des écrits prémonitoires de Jean-Christophe Rufin en 2004, dans son rapport adressé au ministre de l’Intérieur : « Ce qu’il s’agit de sanctionner, c’est le retournement pervers et diffamatoire du racisme contre ceux-là même qui en ont été victimes à un degré inégalé. Les accusations de racisme, d’apartheid, de nazisme portent des implications morales extrêmement graves. Elles ont, dans la situation où nous nous trouvons aujourd’hui, des conséquences majeures qui peuvent, par contagion, mettre en danger la vie de nos concitoyens juifs. »