Sarah Halimi Femme juive assassinée à Paris en 2017
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Antisémitisme, connais pas

Jacques Amar

Jacques Amar, docteur en sociologie, est maître de conférences HDR en droit privé à l’Université Paris Dauphine.

« Le Juif est un homme que les autres hommes tiennent pour juif », écrivit Jean-Paul Sartre. À la lecture de ses Réflexions sur la question juive, certains interprètes ont considéré que, pour Sartre, l’antisémitisme crée le Juif. Dans cette perspective, il suffit de supprimer l’antisémitisme pour supprimer le Juif. C’est précisément ce que notre époque est en train de réussir.


Antisémitisme ? Antisionisme ?

  • Le meurtrier de Madame Halimi n’est pas antisémite, il souffre d’un manque de discernement : « le comportement de personnes en proie à un délire n’exclut pas la commission d’actes logiques » (rapport de la commission d’enquête de l’Assemblée nationale, n° 4875).
  • La police française sous Vichy n’était pas antisémite, elle ne s’en prenait qu’aux étrangers ; elle ne visait pas les Juifs lors de la rafle du Vel’ d’Hiv, mais des enfants.
  • Heidegger n’est pas un philosophe antisémite, car il exècre les Juifs en général et non en particulier – l’antisémitisme au plan de l’histoire de l’Être, ce n’est plus de l’antisémitisme (cf. Peter Trawny).
  • Eichmann n’est pas un antisémite, mais un homme quelconque qui a participé à une entreprise criminelle (cf. Hannah Arendt).

Eichmann n’est pas un antisémite, mais un homme quelconque qui a participé à une entreprise criminelle.

  • Le président de la République Emmanuel Macron qui, l’année précédente, à l’instar de Pétain, n’avait rien trouvé de mieux que de se rendre à la même date à Lourdes, discourt sur l’antisémitisme le jour de la rafle du Vel’ d’Hiv sans dénoncer ni critiquer les racines idéologiques du meurtre de Madame Halimi. En même temps, il considère que le pasteur Jesse Jackson a les mêmes valeurs que celles de la République. C’est d’ailleurs le parti dont est issu le Président qui a rendu difficile la tenue de la commission d’enquête parlementaire sur le meurtre de Madame Halimi.
  • L’antisionisme est, dans bien des cas, la manifestation démocratique de l’antisémitisme (cf. Vladimir Jankélévitch).


Justifier à tout prix le refus de regarder le réel


Pendant que les idiots utiles principalement issus de la majorité présidentielle s’acharnent contre des raclures antisémites qui saccagent les tombes juives, les monuments en hommage à Simone Veil ou manifestent avec des affiches qui jouent sur tous les symboles de l’antisémitisme, ils se gardent bien de constater que les idées les plus nauséabondes ont réussi à infiltrer le sommet de l’État. Les crimes commis par des personnes de religion musulmane sont le fait de déséquilibrés, ceux par des personnes d’une autre religion celui de forcenés. Le Juif victime se fond dans la masse des victimes de la délinquance ou d’une politique répressive. Dans le consensus du vivre-ensemble, les victimes comme Madame Halimi sont le prix à payer pour que la société puisse maintenir l’illusion que les individus vivent dans la concorde.

Les idées les plus nauséabondes ont réussi à infiltrer le sommet de l’État.

L’antisémitisme reste, dans la majorité des cas, « un discours » qui « se manifeste socialement par des discriminations ou par des persécutions visant à humilier et à terroriser les Juifs » (P.-A. Taguieff). Le meurtre de Madame Halimi met à jour une nouvelle facette : l’antisémitisme n’échappe pas à la tendance globalisante présente aussi bien au sommet de l’État que dans de nombreux cercles intellectuels de justifier à tout prix le refus de regarder le réel à partir du moment où il ne correspond pas à l’interprétation officielle de la réalité.

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